« De l'accent ! De l’accent ! Mais après tout en ai-je ? Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ? Et si je vous disais à mon tour, gens du Nord, Que c’est vous qui pour nous semblez l’avoir très fort Que nous disons de vous, du Rhône à la Gironde, “Ces gens-là n’ont pas le parler de tout le monde !” Et que, tout dépendant de la façon de voir, Ne pas avoir l’accent, pour nous, c’est en avoir… Eh bien non ! je blasphème ! Et je suis las de feindre ! Ceux qui n’ont pas d’accent, je ne puis que les plaindre ! Emporter de chez soi les accents familiers, C’est emporter un peu sa terre à ses souliers, Emporter son accent d’Auvergne ou de Bretagne, C’est emporter un peu sa lande ou sa montagne ! Lorsque, loin du pays, le cœur gros, on s’enfuit, L’accent ? Mais c’est un peu le pays qui vous suit ! C’est un peu, cet accent, invisible bagage, Le parler de chez soi qu’on emporte en voyage ! C’est pour les malheureux à l’exil obligés, Le patois qui déteint sur les mots étrangers ! Avoir l’accent enfin, c’est, chaque fois qu’on cause, Parler de son pays en parlant d’autre chose !... Non, je ne rougis pas de mon fidèle accent ! Je veux qu’il soit sonore, et clair, retentissant ! Et m’en aller tout droit, l’humeur toujours pareille, En portant mon accent fièrement sur l’oreille ! Mon accent ! Il faudrait l’écouter à genoux ! Il nous fait emporter la Provence avec nous, Et fait chanter sa voix dans tous mes bavardages Comme chante la mer au fond des coquillages ! Écoutez ! En parlant, je plante le décor Du torride Midi dans les brumes du Nord ! Mon accent porte en soi d’adorables mélanges D’effluves d’orangers et de parfum d’oranges ; Il évoque à la fois les feuillages bleu-gris De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris, Et le petit village où les treilles splendides Éclaboussent de bleu les blancheurs des bastides ! Cet accent-là, mistral, cigale et tambourin, À toutes mes chansons donne un même refrain, Et quand vous l’entendez chanter dans ma parole Tous les mots que je dis dansent la farandole ! » |